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  • : Le blog de Jean-Marc Fauconnier
  • : Dans ce blog de textes et de poésies, vous trouverez les couleurs losanges du clown cloné ou le chapeau noir du croque-mort - en un mot: la vie.
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  • Jean-Marc Fauconnier
  • De formation scientifique, ma profession d'ingénieur écologue m'a conduit à oeuvrer pour un meilleur environnement. Mais j'ai besoin, pour bien vivre, de rêver et d'écrire.

Texte Libre

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Eco… logique et nomique – une maison pour tous ?

La planète est notre maison (eïkos en grec), un habitat qui s’est considérablement rétracté au cours du siècle dernier ; on parle aujourd’hui du village planétaire. Nous sommes des millions d’espèces végétales et animales à partager cette maison (ou ce village) mais une seule espèce, l’homme, est en capacité de prendre en charge sa gestion. Lourde responsabilité qui doit assumer à la fois le « logos » et le « nomos » pour administrer au mieux la maison en connaissance de cause, en fonction de ce que l’on sait.

 L’écologie (étymologiquement : science de la maison) et l’économie (administration de la maison) se présentent souvent comme antinomiques dans la crise écologique que nous traversons depuis la deuxième moitié du 20ème siècle. On perçoit pourtant d’emblée une cohérence entre ces deux notions d’où la nécessité d’une synthèse qui devrait passer par un nouvel humanisme. Mais force est de constater que, depuis toujours et plus encore dans l’époque moderne, l’homme administre la planète à son profit quasiment exclusif, au détriment des autres occupants qui habitent la maison. C’est donc l’économie qui à elle seule détermine la vie des gens et des écosystèmes.

Préhistoire de l’économie

 Administrer la maison, pour reprendre l’étymologie du mot « économie », ce fut d’abord s’occuper du foyer, de la famille voire de la tribu; en un mot il s’agissait d’économie domestique fondée sur la cueillette et la chasse que l’on pratiquait au gré des disponibilités, se déplaçant pour « s’approvisionner » là où cela était possible ou plus facile, comptant sur la générosité et le bon vouloir de la nature.

 Par la suite au néolithique, l’homme nomade s’étant sédentarisé, apprend à domestiquer la nature. Il prend en main la production de ses besoins, élevant les animaux, cultivant les plantes et s’organisant en communautés plus grandes pour répondre au mieux aux exigences de la vie et mieux affronter les rigueurs de la nature. Dès lors, on peut dire que l’humanité est passée d’une économie de prédation à une économie de production. Or la nature n’est pas équitable, elle peut offrir beaucoup, ou peu ou pas du tout dans l’espace (grasses pâtures, terres profondes, belles futaies, plateaux arides, terres acides, zones inondables, topographie inhospitalière, déserts …) et dans le temps (sécheresse d’un été, gels tardifs, tempêtes destructrices, attaques d’insectes …). Face aux caprices de la nature, l’homme sédentaire, s’il veut aller au-delà d’une simple économie de subsistance et vivre dans une certaine constance, doit donc échanger les produits dont il a besoin, apprendre à les stocker (pour pallier les disettes, plus tard pour spéculer). Le mouvement des marchandises s’organise ouvrant sur le mercantilisme, l’accumulation, la monnaie, la finance.

 Très tôt dans l’histoire, l’homme a voulu plus que le nécessaire et s’est par conséquent engagé dans une économie de moins en moins économe au fil des siècles. La technologie, l’énergie autre qu’humaine ou animale ont ouvert une ère de production de masse accompagnée d’une pensée économique multiforme qui s’est avérée par la suite déterminante en matière d’écologie et de ressources naturelles. La crise écologique diagnostiquée depuis trente ans par quelques experts et penseurs se révèle aujourd’hui en contrepoint de la crise économique et financière de 2008-2009. Cette double crise qui en réalité est « une » suscite des réflexions et des débats s’agissant des systèmes économiques en cause et des schémas alternatifs possibles.

La pensée libérale – ses avatars et son analyse du point de vue de l’écologie

Le libéralisme, système économique dans lequel nous sommes et qui s’applique aujourd’hui presque partout dans le monde, émane de la pensée des lumières au 18ème siècle (liberté de pensée mais aussi liberté d’agir et d’entreprendre) relayée le siècle suivant par les idées positiviste et scientiste. C’est en quelque sorte le mariage de la liberté et de la confiance en l’homme comme principe d’action. Ainsi, il en irait de l’écosystème humain comme de l’écosystème naturel, le libre jeu du comportement des individus (ou groupes d’individus), les échanges entre eux (où l’on retrouve des rapports de parasitisme, de symbiose, de synergie) conduiraient, sans intervention extérieure, à un optimum, un état plus ou moins stable dans lequel chacun trouverait son équilibre, sa raison d’être et son bonheur.

Les pères du libéralisme économique au 18ème siècle - Adam Smith, David Hume en Angleterre ; Montesquieu, Turgot, Bastiat en France – affirment que le libre jeu des intérêts individuels dans la société civile (sans contrainte, notamment pas celle de l’état) aboutit naturellement à l’ordre et à l’harmonie. Comme l’écrit Montesquieu «chacun va au bien public, croyant aller à ses intérêts particuliers ». Selon ces penseurs, le moteur de l’économie libérale qu’ils décrivent est le désir que nous éprouvons pour les choses. On voit bien dès lors que cette économie dépasse la seule satisfaction des besoins de subsistance pour prendre en compte aussi le superflu voire le luxe. Ce désir du « toujours plus » vise évidemment à satisfaire un certain hédonisme mais il répond aussi, diront certains  penseurs, à l’angoisse de la mort (on retrouvera cette importante question du désir un peu plus loin avec Patrick Viveret). Avec le recul de l’histoire et deux siècles d’expérimentation, ayant connu des crises - crises économiques et sociales d’abord et plus récemment crise écologique - ce système fondé sur la liberté individuelle doit-il être remis en cause (réformé ou abandonné) ? Telle est la question qui se pose aujourd’hui. Nous y reviendrons.

Le libéralisme réduit le rôle de l’Etat à ses obligations régaliennes. Ainsi Frédéric Bastiat écrit « n’attendre de l’Etat que deux choses : liberté et sécurité ; et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième », or la situation environnementale et sociale dans laquelle nous sommes aujourd’hui montre clairement que les Etats relayés par une gouvernance mondiale doivent assurer aussi la sécurité écologique de leurs territoires et de la planète.

Tout au cours du 19ème siècle, l’idée libérale s’affine et se nuance, notamment avec les physiocrates (théorie qui comme l’indique l’étymologie du mot fait référence à la nature). Les physiocrates tels que Vincent Gournay ou François Quesnay fondent l’économie sur l’exploitation de la nature, l’agriculture, l’élevage, la sylviculture, ce qu’on pourrait appeler le secteur primaire, en opposition avec le mercantilisme et l’industrie. Dans cette optique on peut dire également que les formes d’économie immatérielles (le secteur tertiaire) ne participent pas de la théorie physiocratique. Or aujourd’hui, en contradiction avec la pensée physiocrate, nous observons précisément une évolution significative de notre économie vers ces formes de productions et d’échanges immatérielles que sont le conseil et l’organisation, l’expertise, l’information et la communication, toutes disciplines qui doivent normalement contribuer à mieux administrer les entreprises, les sociétés et les écosystèmes. C’est la question de l’ère postindustrielle dans laquelle nous serions entrés, qui ouvrirait sur une sorte d’économie virtuelle, une économie de la connaissance dont on peut penser qu’elle serait peu perturbatrice pour l’environnement.

 On voit bien néanmoins que le libéralisme « absolu » n’existe pas vraiment y compris même dans l’esprit de penseurs comme les classiques britanniques (Adam Smith, John Stuart, David Ricardo, Thomas Malthus) qui prennent une position principalement utilitariste, c'est-à-dire qu’ils insistent sur l’idée de la meilleure démarche possible, la plus efficace en matière économique, ce qui suppose implicitement que soit pris en compte les aspects relatifs à la vie des hommes. Position qui laisse entrouverte la porte à certaines interventions de l’Etat comme le propose par exemple Adam Smith en ce qui concerne « la construction et l’entretien d’institutions et d’ouvrages publics ».

Alors même que les bases théoriques du libéralisme économique sont énoncées, les questions liées à la surpopulation, au manque d’espace et à l’épuisement des ressources, sont posées, notamment par Malthus. Dans beaucoup de pays cette crainte était apparue dès le 17ème siècle mais dans le contexte politico historique de l’époque, l’on comptait sur l’exutoire que pouvaient constituer les colonies. Il est clair que, sur le plan mathématique, la progression géométrique des populations dans un monde fini, sans rééquilibrage, conduit tôt ou tard à une impossibilité majeure. Charles Darwin ayant observé cette progression de génération en génération avait proposé la sélection naturelle comme régulateur guidé par deux catégories de paramètres : ceux de l’environnement qui, pour une espèce donnée, est plus ou moins agressif ou plus ou moins favorable et ceux de l’organisme vivant plus ou moins résistant ou plus ou moins adapté. Les scientifiques (zoologistes et  éthologues), observant que la surpopulation pour nombre d’espèces animales mammifères entraîne des dysfonctionnements sociaux  et la survenue de pathologies, suggèrent, pour certains d’entre eux, la transposition à l’espèce humaine (voir les problèmes de cohabitation et les phénomènes de violence dans les banlieues à forte densité).

Même s’il est légitime de penser l’humanité comme Darwin a pensé la nature extrahumaine, on ne peut pas se contenter d’appliquer le concept de sélection naturelle pour expliquer l’évolution de l’homme, car s’il dispose d’une capacité d’adaptation qui lui est propre, il a, en outre, contrairement à toutes les autres espèces vivantes, le pouvoir d’agir significativement sur son environnement pour qu’il s’adapte à lui. On peut dire cependant que, au sens de la sélection naturelle, l’intelligence humaine qui lui permet de s’affirmer au détriment de la nature est du même ordre que le cou de la girafe grâce auquel elle peut accéder à une nourriture hors de portée d’autres espèces herbivores.

Malthus soulève donc la question d’une régulation maîtrisée des populations, préoccupation fort ancienne que l’on rencontrait déjà dans l’antiquité (la population doit rester stationnaire dans la République de Platon ou au contraire Rome qui encourage la natalité). La perspective d’une surpopulation telle que la craint Malthus entraîne une prise de conscience de la finitude de l’espace géographique et des ressources naturelles. Cette prise de conscience, on la retrouve chez Stuart Mill (1806-1873) qui stigmatise le « vouloir toujours plus » et se prononce pour un état stationnaire et chez Alfred Sauvy (1898-1990) qui dans son livre « Croissance Zéro » écrit « partout où un bien qui n’existe qu’en quantité limitée est consommé gratuitement sans rationnement, c'est-à-dire sans répartition des quantités, il y a gaspillage et dommages pour la collectivité ». On retrouve cette conscience d’une inadéquation entre la demande de l’espèce humaine et l’offre de la planète au début des années 70, avec les premières crises pétrolières,  à la base des prises de position du MIT et du Club de Rome.

Plus tard au début du 20ème siècle, c’est l’économiste anglais John Maynard Keynes (1883-1946) qui, constatant les dysfonctionnements du libéralisme, les limites du protectionnisme et du système socialiste,  conteste « l’autorité du laissez faire » et prône l’interventionnisme d’Etat, notamment dans le domaine monétaire et financier, de l’investissement et de la démographie. Cette idée d’Etat régulateur fixant les grands principes et assurant un pilotage par l’intermédiaire de grandes institutions dédiées, a fortement influencé les modes de gouvernance, notamment en Europe. Il s’agit en fait de concilier la libre entreprise et l’initiative individuelle avec la notion d’intérêt public ; en quelque sorte « gérer la liberté » autant qu’il est possible afin de garantir le plus petit commun multiplicateur du bien-être.

Le keynésianisme actualisé doit considérer la nature comme un objet supplémentaire à prendre en charge par l’Etat tant est patente l’incapacité du libéralisme seul à assumer la question écologique. Ainsi la pensée de Keynes qui propose de « contrôler et diriger les forces économiques dans l’intérêt de la justice et de la stabilité sociale » pourrait-elle être actualisée en y ajoutant la recherche de la stabilité écologique de la planète.

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